lundi 17 mai 2010

ECR — Ramener l'éthique à une simple question de « vivre-ensemble » pluraliste

Jacques Dufresne, philosophe et directeur des encyclopédies de L’Agora, publie un texte intéressant et critique sur le cours d'éthique et de culture religieuse (ECR) dans l'essai collectif Par-delà l'école-machine dont nous avons déjà parlé.

L’auteur essaie de mettre au clair les conséquences du passage d’un humanisme centré sur Dieu à un humanisme centré sur l’Homme. Selon lui, ce passage s’est réalisé au Québec en coupant plusieurs des ponts par lesquels l’Homme était relié au transcendant, soit la connaissance globale, le monde réel, les grandes figures, les chefs-d’œuvre artistiques et la nature.

Pour le professeur Dufresne, l’enseignement par objectifs, par son approche réductionniste de la connaissance et de l’enfant, a discrédité les formes d’évaluation tournées vers le regard d’ensemble. Le relativisme s’est introduit dans la pédagogie, au point que l’on mette en doute les distinctions entre le vrai et le faux, le laid et le beau, etc. L’enseignement axé sur les compétences et les projets a abandonné l’étude des grandes figures inspirantes du passé, comme des grandes œuvres, au nom d’un relativisme niveleur.

Pour Jacques Dufresne, les concepteurs du cours ECR ont voulu aller plus loin encore, en ramenant l’éthique et toute interrogation sur le surnaturel à une simple question de vivre ensemble pluraliste, sans proposer de connaissances solides aux élèves.

Georges Leroux, le charmant sophiste

Le directeur de l'Agora égratigne au passage plusieurs fois Georges Leroux qu'il surnomme le « charmant sophiste » pour son fréquent usage d'un sophisme : la transformation d'un but désiré en une nécessité historique, puis en un idéal indépassable. Leroux disait ainsi récemment lors d'une conférence prononcée lors du colloque de l’Association de pédagogie collégiale, à Trois-Rivières, le 3 juin 2009 :
« Pour en comprendre les enjeux, il faut en effet se situer sur la longue durée. Vertus, savoirs et compétences, ce sont donc pour moi les grands idéaux que, de manière successive, l’humanité a choisi de privilégier dans ses modèles de transmission, dans sa proposition du monde ».
Pour Georges Leroux, les vertus et les savoirs seraient donc dépassés ! Pourtant, rien ne prouve que l'idéal suivant soit la transmission des compétences. Il s'agit d'une pétition de principe. Rien ne prouve non plus qu'il existe une nette distinction, une dichotomie, entre savoirs et compétences. Pour Jacques Dufresne, la compétence est un faisceau de savoirs :
« Je dois respecter la femme qui porte la burqa. Ce respect est une compétence, selon la définition du dictionnaire socioconstruit de nos réformateurs. Je m’élèverai jusqu’à cette compétence avec d’autant plus de conviction que je connaîtrai la signification du voile pour la femme, dans plusieurs traditions religieuses, y compris dans la tradition chrétienne. C’est là un savoir sans lequel la compétence exercée se réduit à un comportement de façade plus proche du réflexe que de l’acte libre. Cette opération consistant à séparer les compétences du savoir a un nom : endoctrinement. »
Cours à visée politique, sans transcendance

Selon le directeur de l'Agora, le cours d’éthique et de culture religieuse est « davantage destiné à servir des objectifs politiques qu’à satisfaire les besoins fondamentaux de l’âme humaine. Sa finalité n’est pas d’apporter une réponse à la question cruciale : l’homme a-t-il besoin d’une nourriture surnaturelle pour s’accomplir, – et dans l’affirmative, où peut-il la trouver ? – mais de donner aux jeunes québécois des compétences, comme le dialogue, « pour vivre ensemble dans le Québec d’aujourd’hui » ou « pour s’épanouir dans une société où se côtoient plusieurs valeurs et croyances ». Quel autre sort nos réformateurs pouvaient-ils réserver à l’enseignement de l’éthique et de la religion après l’effondrement de tous les ponts vers le transcendant ? « Quand on ne peut plus regarder ensemble dans une même direction [pour paraphraser Saint-Exupéry], il ne reste plus qu’à se regarder l’un l’autre, ce qu’on appelle vivre ensemble. »

Présentation superficielle du cours pour rassurer les parents

Le MELS présente le programme ECR de cette façon sur son site internet (également ici) :
Éthique

Votre enfant apprend à :

• réfléchir avec rigueur sur des aspects de certaines réalités sociales et sur des sujets tels que la justice, le bonheur, les lois et les règlements ;

• à se poser des questions telles que : Quelle valeur devrait guider les gens dans leurs relations en société ? Qu’est-ce qui caractérise un comportement acceptable et un comportement inacceptable ? Comment peut-on reconnaître ces comportements ?

Ainsi, il lui est de plus en plus facile de rassembler ses idées et de les exprimer avec respect et conviction.

Culture religieuse

Votre enfant apprend progressivement à :

• connaître la place importante du catholicisme et du protestantisme dans l’héritage religieux du Québec ;

• découvrir la contribution du judaïsme et des spiritualités des peuples autochtones à cet héritage religieux ;

• connaître des éléments d’autres traditions religieuses apparues récemment dans la société québécoise.
Selon le professeur Dufresne, cette présentation est de toute évidence destinée à rassurer les parents qui souhaitent que leurs enfants apprennent des choses sur les religions en dépit du fait que, en réalité, dans le cours les connaissances sont subordonnées aux compétences. Rappelons que le programme ne prescrit quasiment aucune connaissance précise, seuls quelques exemples de rites, de personnages, de sujets sont donnés à titre indicatif. Dans la description ci-dessus, poursuit Dufresne, on emploie les verbes « connaître » et « réfléchir ». Mots trompeurs.

M. Dufresne pense qu'on peut comprendre que de nombreux parents approuveraient le cours — comme le prétend le MELS — si c’est bien là l’essentiel de ce qu’ils connaissent de ce cours. Tout semble y être pour la majorité des parents.

Et pourtant ! Pour ce qui est de l’éthique, par exemple, on ne peut rien dire d’autre en quelques lignes, mais on ne dit rien tant qu’on n’a pas précisé, par exemple, les fondements de l’idée de justice que l’on présentera. Le programme est totalement muet sur ces fondements :
« Le vivre ensemble pluraliste qui est le but visé et le contexte général indiquent que ce sont des théories comme celle de John Rawls qui domineront la scène. [Georges Leroux a déclaré, au passage, lors du procès de Drummondville que Rawls est le philosophe qui fait autorité aujourd’hui quand il s'agit de distinguer l'éthique de la morale et que tous les penseurs aujourd'hui se positionnent par rapport à lui, même ses détracteurs.] Or, pour Rawls, la justice se réduit à un calcul entre des consommateurs joueurs qui acceptent de s’imposer des contraintes minimales pour permettre aux autres consommateurs joueurs de rester dans le jeu. On ne s’étonne pas de découvrir ensuite, à propos des valeurs, qu’il faut s’y intéresser « pour guider les gens dans leurs relations en société », plutôt que pour leur universalité et pour la cohérence de l’ensemble qu’elles forment. À propos du bien et du mal, on découvrira qu’ils se réduisent à l’acceptable et à l’inacceptable et ne concernent que les comportements. »
Immoler ses convictions sur l'autel de la paix sociale

Selon le professeur Dufresne, l'essentiel est que les élèves immolent leurs convictions sur l’autel de la paix sociale, du vivre ensemble : « Fais ce que tu voudras, pense ce que tu voudras, tu seras dans la bonne voie tant que tu pratiqueras le dialogue. »

Un dialogue qui risque pourtant fort de n’être qu’un bavardage entre touristes en transit de par l'ampleur et la superficialité des connaissances abordées. C'est d'ailleurs un reproche que plusieurs parents nous ont formulé : mes enfants me disent que le cours ECR est juste une occasion de parler de tout et de rien.

La superficialité ne permet pas d'accéder aux autres

Or, « il faut d’abord s’engager en profondeur dans une voie pour accéder aux autres ». Cette superficialité serait un atout selon les partisans du cours ECR :
« Mais justement, nous objectera-t-on, le cours ECR n’est pas un lieu d’engagement religieux ni même un lieu où, comme dans la vraie vie, on choisit une religion en accordant toute son attention aux convictions des uns et des autres. C’est un musée à certains moments, une vitrine à d’autres. Le vrai dialogue suppose des connaissances nombreuses et profondes doublées d’un engagement qu’il est impossible de vivre dans un musée ou devant une vitrine. Joëlle Quérin qui en est venue à la conclusion que le cours d’éthique et de culture religieuse est lui-même un instrument de contrôle social. On imagine sans peine la réaction étonnée des réformateurs à ce diagnostic. Leur but n’est-il pas la créativité, l’autonomie, la liberté sous la protection de la charte des droits ? Je réponds qu’il y a une contradiction au cœur de ce cours, celle-là même qu’entrevoit Paul Inchauspé quand il s’indigne devant le détournement d’un simple programme d’étude, plutôt inspirant, vers une pédagogie socioconstructiviste totalitaire. D’un côté des idéaux, de l’autre un endoctrinement. »




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4 commentaires:

  1. Il semble en effet qu'au nom d'un nécessaire "vivre ensemble" harmonieux, le cours d'ECR veuille imposer un multiculturalisme relativiste, comme si tout se valait.
    Mais faut-il pour autant n’offrir aux jeunes qu’une vision religieuse unilatérale ?
    Je regrette que Jacques DUFRESME ne fasse aucune mention des options laïques.
    Privilégier la culture québécoise et la religion catholique est certes légitime, mais à notre époque de pluralisme des cultures et des convictions, cela ne peut, selon moi, que favoriser le repli identitaire, le communautarisme et donc l'intolérance.

    Certes, les parents croyants ont le droit légitime et constitutionnel d'imposer unilatéralement leur religion à leurs enfants. Je crains cependant que cela ne favorise pas leur intégration à la modernité ...
    Initialement, dans ce cours, il devait être fait mention de l’existence «d’autres conceptions de vie que religieuses ». C’était un minimum, par simple honnêteté intellectuelle. Or, à présent, même la mention de l’athéisme est, paraît-il, supprimée, comme si c’était une abomination !

    Tout se passe comme si l’on voulait empêcher les jeunes de choisir librement de croire ou de ne pas croire.
    J'irai même plus loin : sous prétexte d’ouverture à la différence et au dialogue, le cours d'ECR fait découvrir au moins six autres religions, mais avec tant de détails, que cela jette la confusion dans l’esprit des enfants et adolescents. Par comparaison, cela ne peut que renforcer la religion traditionnelle et majoritaire.
    Ne serait-ce pas le but hypocrite (voire inconscient) de ce cours : tenter de compenser le déclin du catholicisme du fait de la déconfessionnalisation et la laïcisation croissantes des sociétés intellectualisées.

    Il va de soi que la culture générale implique un minimum de culture religieuse, mais aussi de culture laïque et humaniste.
    Dans un souci de neutralité et afin de réduire les inégalités socioculturelles, l’école, via un cours d’ECR amélioré, devrait donc compenser, ne leur en déplaise, l’influence des parents et d’un un milieu unilatéral, par une DOUBLE information minimale, objective et non prosélyte : d’une part, au cours d'histoire, ou lors d’un cours de philosophie, sur le « fait religieux » , sans occulter ce que toutes les religions ont hélas en commun, à des degrés divers : la soumission à un dieu et à un texte "sacré", ET d’autre part, sur le « fait laïque »,l’humanisme laïque, ses principes de libre examen, d’esprit critique, d’autonomie et de responsabilité individuelle, ses valeurs "universalisables", parce que bénéfiques à tous, telles que le respect de la dignité de l’homme, de la femme et de l’enfant, ses options, ses objectifs, la spiritualité laïque, etc.

    Il sera évidemment indispensable de repenser la formation et le « recyclage » des enseignants, qu’ils soient croyants ou non, car ils n’ont pas à influencer les élèves par leurs propres convictions, mais à les rendre capables de se forger les leurs.

    Un tel système éducatif, hélas encore utopique, parce qu’il conduit à terme à la fusion des écoles publiques et privées, permettrait enfin à chacun de choisir ses convictions philosophiques OU religieuses en connaissance de cause, aussi librement et tardivement que possible, d’accepter la différence enrichissante de l’autre et de tendre ainsi vers une réelle citoyenneté, fondée un meilleur « vivre ensemble ».
    Michel THYS à Waterloo,
    (en Belgique)
    http://michel.thys.over-blog.org

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  2. On dirait que de plus en plus d'intellectuels se lèvent contre ce cours idiot. En voilà au moins deux (avec Jëlle Quérin) qui disent clairement que c'est de l'endoctrinement et que les fondements philosophiques sont de l'ordre du sophisme (pauv' Leroux, dans quelle galère s'est-il laissé embarquer...).

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  3. Pour reprendre le titre de Samuel Huntington, Le choc des civilisations, je crois qu'avec ECR nous assistons à un point de friction ultime au Québec entre la conception libérale de la civilisation et la conception de l'excellence (arètique) qui prévalait antérieurement en Occident. La conception libérale a actuellement le vent dans les voiles, mais viendra bien un jour où cette coquille vide sera démasquée. Nous vomirons le mensonge libéral.

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  4. Mychel Thys a dit:

    "Privilégier la culture québécoise et la religion catholique est certes légitime, mais à notre époque de pluralisme des cultures et des convictions, cela ne peut, selon moi, que favoriser le repli identitaire, le communautarisme et donc l'intolérance"

    Vous etes deconnectes du cours ECR si vous pensez qu'il impose majoritairement le catholicisme.

    voir ex:
    http://pouruneecolelibre.blogspot.com/2008/08/proportion-des-pages-consacres-aux.html

    Vous pouvez voir que tous le christianisme (88.1% de la pop.) a a peu pres 50% (et non pas juste le catholicisme). Le contenu expose est totalement vide de tous sens et n'a pas grand chose a voir avec le christianisme, qui est centre sur Jesus-Christ Dieu fait homme (on en parle a peu pres jamais du Christ et de sa mission de redempteur dans les livres, donc c'est un christianisme escamote dans les manuels qui ne veut a peu pres rien dire). Par contre la religion autotochne a 20% par exemple dans ce manuel alors qu'il n'y a meme pas 0.01% des personnes au Canada qui la pratique

    Michel Thys a dit:

    "J'irai même plus loin : sous prétexte d’ouverture à la différence et au dialogue, le cours d'ECR fait découvrir au moins six autres religions, mais avec tant de détails, que cela jette la confusion dans l’esprit des enfants et adolescents. Par comparaison, cela ne peut que renforcer la religion traditionnelle et majoritaire."

    C'est tout a fait le contraire, cela seme la confusion meme pour la religion majoritaire. J'ai 2 cas dans mon entourage proche qui vont dans ce sens.

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